CULTURES/STRATÉGIE

ÉTATS UNIS D’AMÉRIQUE, UNE CULTURE STRATÉGIQUE DIRECTE. Cultures stratégiques

Physiquement, les États Unis d’Amérique peuvent être décrits comme un continent – insulaire. Continent par la dimension, ils sont néanmoins séparés de l’Eurasie par l’Atlantique et le Pacifique. Cette profondeur spatiale protégée d’est en ouest par deux océans contribue à marquer une distance, une spécificité et une sécurité que le progrès des transports maritime et aérien n’a que récemment altéré.

Rompre avec un passé

La culture stratégique des États Unis d’Amérique porte la marque de l’histoire de la colonisation des pionniers. Les immigrants qui s’y installent ont en commun une rupture avec un passé qu’ils laissent derrière eux pour des raisons religieuses, économiques, politiques ou ethniques, au profit d’un présent à construire et d’un futur que l’on veut prometteur. Cet idéal de liberté et de bonheur, inscrit dans la propre constitution, est profondément enraciné dans les valeurs du pays.

La progression des États Unis d’Amérique de la côte est à la côte ouest a donné naissance au mythe d’une frontière que l’activité volontaire des hommes repousse toujours plus loin. La diligence et le chemin de fer ont été les vecteurs de cette organisation progressive. Une fois le Pacifique atteint, le mouvement s’est poursuivi dans l’imaginaire et surtout dans un effort confiant dans le progrès technologique… jusqu’aux dimensions de l’espace et aujourd’hui de la dimension numérique.

Prédestination : winners versus loosers

L’origine religieuse des premiers immigrants les incita à considérer le territoire de ce qui devenait les États Unis d’Amérique comme une terre promise, un vaste chantier octroyé par Dieu afin que la civilisation y prenne le pas sur la nature sauvage. La devise, In God we trust, qui figure sur les dollars en est le signe. Dès lors, le monde se divise entre deux catégories de prédestinés : les bons, riches et gagnants (winners) bénis par Dieu, et les méchants, pauvres et perdants (loosers). Le leitmotive du combat éternel du bien contre le mal se retrouve dans nombre de productions hollywoodiennes. Le travail permet le rachat du salut. L’ensemble de ces conditions et de ces représentations donne naissance à une culture marquée par la morale, l’esprit d’entreprise, l’individualisme, les valeurs démocratiques et la technologie qui transforme le monde et l’extraversion.

Du fait d’une nature riche et du désir de prospérité des immigrants, les Étasuniens ont une mentalité d’abord défensive, ce qui ne contre pas une mentalité prédatrice au besoin. L’effort principal porte sur le développement économique, et pour ce faire la mentalité dominante est pacifique. L’esprit de représailles exercé d’abord par des milices, forme de la nation en armes, se manifeste en réaction à des perturbations agressives et considérées comme barbares. La guerre se traduit alors par des expéditions punitives directes au nom de la justice.

God on our side – Devil on the other !

Dieu étant du coté des justes, l’ennemi assimilé au mal, diabolisé, n’a d’autre alternative que de se plier et de se rendre sans conditions. Le tempo confiant et continu du développement fait alors place à la mobilisation générale de l’ensemble des forces dans un mouvement puissant.

À l’exception des deux guerres mondiales du vingtième siècle, les États Unis s’engagèrent dans nombre de conflits asymétriques et à leur avantage. Une fois le territoire national constitué, le souci d’assurer sa sécurité dans son environnement immédiat s’est étendu progressivement à la planète entière. L’esprit défensif propre à leur culture continentale s’est alors enrichi d’une mentalité offensive et interventionniste planétaire au service de la promotion et de la défense d’intérêts en expansion. Pour penser la géostratégie de son expansion maritime, la mentalité défensive et pacifique a alors fait long feu.

La marque continentale de Jomini

Lorsque le jeune État s’interrogea sur la question militaire au cours du dix-neuvième siècle, Napoléon 1er et son commentateur suisse Antoine de Jomini, dominait la réflexion européenne. Carl von Clausewitz deviendra hégémonique avec la victoire prussienne sur la France de Napoléon III. À la différence d’une Grande Bretagne aristocratique, la France incarnait le principe démocratique et républicain de la nation en armes. Celle-ci est par ailleurs l’un des très rares pays majeurs de la planète à n’avoir jamais été en guerre contre les États Unis.

Une fois les désirs de revanche britanniques apaisés et le Mexique contenu puis fractionné à leur profit, la question stratégique prioritaire pour les États Unis d’Amérique consistait à organiser son vaste espace. Dans cette optique, l’académie militaire de West Point fut d’abord une école d’ingénieurs et de bâtisseurs. La terminologie géométrique jominienne des bases, lignes d’opération, mise en système des forces en vue d’opérations combinées, concentration au point décisif… rencontra là un terrain réceptif. L’excellence logistique est une caractéristique majeure de la culture stratégique étasunienne qu’elle s’applique à la dimension terrestre, maritime, spatiale ou… planétaire.

Attrition & manœuvre

La culture stratégique des États Unis oscille entre les pôles de l’attrition et de la manœuvre. Pour des raisons morales et parce que la guerre annihile des existences individuelles, il y a tout lieu d’en limiter les dommages pour soi et d’en restreindre la durée. La solution qui s’impose alors est le recours en grande largeur à la technologie afin de se protéger (bouclier) et simultanément de démultiplier la force et l’efficacité (glaive) contre l’adversité afin d’accélérer sa défaite.

La mentalité du poker se retrouve dans cette logique qui va bientôt assimiler l’autre à un catalogue d’objectifs que l’on traite à moindre coût humain à la manière d’un rouleau compresseur qui progresse tactiquement et inexorablement vers l’anéantissement de la volonté de résistance adverse, voire de son éradication. À ce pôle de l’attrition s’oppose celui de la manœuvre faite d’initiative et de mouvement en fonction d’un jeu sur les faiblesses adverses. Cette optique plus qualitative que quantitative suppose la connaissance et l’intelligence de l’autre.

Manager le conflit en ingénieur ?

Le développement industriel et technologique des États Unis les porte vers une représentation managériale du conflit qui voudrait que la guerre soit calculable et l’on puisse la traiter au moyen de solutions techniques mises ne œuvre par des ingénieurs.

Les atouts de cette culture de la stratégie, désignent par eux-mêmes ses faiblesses. Son caractère frontal, droit au but, extrême afin d’atteindre rapidement un résultat s’adapte difficilement à des situations complexes où la ligne de démarcation entre le bien et le mal n’est ni aisée ni évidente. L’invisibilité, le recours à des formes indirectes et non conventionnelles, les conflits longs et à faible intensité désorientent une pensée stratégique d’inspiration directe alors en manque de points d’application pour exercer des efforts décisifs.

Indépendamment de ses déterminants spatiaux, temporels et sociétaux, il n’en reste pas moins qu’une culture de la stratégie offre une capacité plus ou moins grande à s’adapter et à s’enrichir des leçons du passé, des contraintes du présent et d’apports qui lui sont extérieurs. Le niveau et la diversité de la réflexion stratégique aux États Unis d’Amérique ne connaissent aucun équivalent sur la planète en ce début de vingt et unième siècle.

© Pierre Fayard, 2010.

qui lui sont extérieurs. Le niveau et la diversité de la réflexion stratégique aux Etats Unis d’Amérique ne connaissent encore guère d’équivalent sur la planète en ce début de vingt et unième siècle.

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